Le camp d’ouvriers mineurs, prisonniers de guerre allemands, à Ans - 1945-1947

Publication
Harmunt Schreiber et Walthère Franssen

Au lendemain de la libération, la Belgique met au travail dans ses charbonnages 52.150 prisonniers de guerre allemands.  Ces prisonniers de guerre allemands en provenance de divers camps situés principalement en Allemagne sont acheminés au camp d’Erbisoeul près de Mons et de là répartis dans les camps de travailleurs situés près des charbonnages, dont le camp d’Ans ouvert le 7/9/1945.  Ces camps étaient gardés par l’armée belge.

Le camp d’Ans a une capacité de détention de 2.100 prisonniers de guerre.  Il s’étalait sur une dizaine d’hectares situés précédemment sur le territoire de Commune d’Ans et actuellement, depuis la fusion des communes, sur le territoire de la Ville de Liège.  Ces lieux étaient avant guerre occupés par le Parc Militaire Régional d’Ans.  L’entrée du camp se situait rue de la Tonne et ses limites sont l’avenue Henri Lonay, la rue des 14 Verges et la rue J. Etienne.

Lorsque l’Armée belge réoccupe les lieux en 1945, du Parc militaire subsistent des hangars dont certains n’avaient plus de toiture, car ils avaient souffert des bombardements en 1940, puis de l’occupation allemande et d’un incendie.  Pour être transformé en camp de détention, les lieux furent entourés de barbelés et aux angles on plaça des miradors.  Les travaux de remise en état furent menés sous l’autorité du Capitaine Commandant Renson, avec l’aide des charbonnages et d’une équipe de prisonniers de guerre.  Ainsi 24 hangars furent rendus habitables pour y loger les prisonniers, et utilisables pour les services du camp dont une chapelle.  En même temps, des baraquements s’élevaient à l’extérieur du camp pour le logement des troupes de garde.  Le camp fut ensuite équipé d’infrastructures pour l’organisation des loisirs des prisonniers : un théâtre de 600 places servant aussi de salle de cinéma, une bibliothèque, un terrain de foot et une piscine et 5 hectares de terrains furent consacrés à l’exploitation de potagers cultivés par des P.G. inaptes au travail minier.  Cette production maraîchère était utilisée pour la cuisine des P.G. et pour les ménages des militaires belges.  Le camp disposait d’un certain nombre de cachots, quoique dit le Capitaine Renson : “le moral du camp est excellent, les punitions au cachot sont de plus en plus rares“.  Particularité, au Camp d’Ans, pour se rendre au rapport, les prisonniers passaient par un couloir garni de photos des charniers de Buchenwald.

Les prisonniers du camps d’Ans étaient mis au travail dans les 9 sièges de 5 charbonnages : les Charbonnages : de l’Espérance et de Bonne Fortune, de Patience et Beaujonc, d’Ans et de Rocourt, du Bonnier, et de Bonne-Fin.  Les trajets du camp au charbonnage se faisaient suivant un itinéraire précis et sous escorte militaire soit à pied en colonnes pour 6 charbonnages proches du camp, soit en camions pour 3 charbonnages plus éloignés.

La vie quotidienne des prisonniers allemands au camp d’Ans et au travail nous est révélée par le carnet de détention que tenait au jour le jour Alexander Schreiber, sous-officier dans l’armée allemande, né en 1901, instituteur de profession, détenu à d’Ans du 30 juillet 1945 au 22 juin 1947.  Au cours de sa détention à Ans, il travaille en tant que manœuvre de fond au charbonnage de Bonne Fortune, ensuite il est employé au camp en tant que comptable et animateur.  Le récit qu’il nous livre, bien que personnel et subjectif à valeur de témoignage.

Le 29/07/1945 alors qu’il est détenu dans un camp de l’armée américaine, Alexander Schreiber est avec d’autres “soudainement embarqués, sans en connaître le motif, pour Erbisoeul en Belgique“.  Dans le camp d’Erbisoeul, géré par l’armée belge, il est déclaré apte pour le travail à la mine et transféré le 13/09/1945 à Ans, “une région purement minière“, dit-il.  Le camp est alors toujours en construction.  Lui qui depuis le début de sa détention, le 27/4/1945, n’a connu que les pires conditions de vie et de sous-alimentation d’abord en Allemagne, puis à peine meilleures à Erbisoeul en Belgique, déclare, dans les semaines suivant son arrivée à Ans, retrouver une vie quasi normale : “La nourriture est maintenant saine et abondante “ …Nous n'avons plus un sentiment absolu de faim et nous nous sentons plus ou moins comme des êtres humains“ … “ avec mon salaire et les produits achetés à la cantine, je possède actuellement quelques vêtements“ ... “Nous avons maintenant un sommier en bois avec de la paille et nous dormons très bien“.

S’il est relativement heureux, “ Pour la première fois, le soir, je bois une bouteille de bière avec Stübner (un ami originaire de la même région que lui) “, Alexander Schreiber reste confronté à la réalité de la détention :

- Lui qui est marié et a 4 enfants, il se plaint de l’interdiction faite aux prisonniers d’écrire à leur famille et de recevoir du courrier., “on n’a toujours pas le droit d’écrire à la maison. C’est la chose la plus méchante qu’ils puissent nous faire“ note t’il le 6/11/1945.  Interdiction ensuite levée, “le 1ier mars 1946 j’ai reçu le premier courrier d’Else (son épouse) Je suis si heureux“.

- Les appels du nom “debout pendant des heures. c’est à dégueuler“ qu’ils avaient connu dans les précédents camps le poursuivent à Ans  l’ennuyeux comptage habituel avec l’appel du nom “ ... “le dimanche est morcelé par toutes sortes d’appel“.

- Une détention dont la durée reste indéterminée quasi jusqu’à la fin.  Il avait écrit le 30/06/1945 “nous espérons être libérés la semaine prochaine“. A Ans, il continue à écrire “nous ne savons rien sur la durée de notre travail“ ... Le pire c’est l’attente de la libération“ ... “les rumeurs de libération les plus contradictoires circulent, tous cela contrarient notre espoir de rentrer chez nous

 

Ses opinions, sur le Directeur du charbonnage de Bonne Fortune  “Le directeur du travail se révèle être un ancien officier de l'armée belge glacial et tranchant comme un couteau, mais pas sans un sens de la justice“.  Sur la Société du charbonnage, il reprend (sans doute) l’opinion donnée par ses compagnons de travail belges : “Le Charbonnage « Bonne Fortune » appartient à une société anonyme, leurs actionnaires siègent à Bruxelles et y mènent une vie principalement faite de voitures, de femmes, de champagne et d'inaction ! “.  Et sur le charbonnage : “Installations obsolètes, extension négligée, le tout fixé pour la surexploitation “.

Le travail au charbonnage : “à Ans, nous avons dû signer un accord pour travailler dans la mine sur une base volontaire“ …“mon premier jour de travail à la mine, j’ai travaillé en tant qu’aide encageur à l’envoyage du niveau – 450 mètres. Nous poussons les berlaines de charbon dans un palier de la cage et en sortons les berlaines vides“ …“ Le travail est très dur pour nos corps affaiblis“ … “ Le mine c’est du travail d’esclave, vous rentrez fatigués au camp“ ... On est censés avoir 4,50 francs belges (par jour) pour notre travail sous terre, c’est le prix d'un verre de bière

Son travail d’employé et d’animateur : “je travaille comme comptable au bureau. Je reçois 500 francs belges par mois“ … “Maintenant je dirige la chorale de camp et je travaille sur la scène du camp en tant qu'animateur“ … “Je suis pianiste dans l’orchestre du camp“ … Aujourd'hui, (le 07/5/1946) c'est la première fois qu'un film est projeté : une comédie cinématographique allemande

 

Ses compagnons (belges) de travail : “Monsieur Jean, le maître-encageur de – 450 mètres, est un mari honnête, de bonnes mœurs, 40 ans, socialiste, il s'occupe de sa femme, qui travaille dans une usine de margarine, il laisse chanter son coq le dimanche.  Lorsqu'il se sent seul ou mélancolique, il chante des chansons françaises avec une voix mélodieuse.  Il partage quotidiennement son petit déjeuner avec nous, prisonniers allemands, du délicieux pain blanc bien levé avec confiture ou margarine et fruits.  Avec lui et d’autres ouvriers belges, comme nous recevons beaucoup de savon, nous l’échangeons contre du tabac“ … … “Il y a aussi le géomètre du charbonnage au cœur tendre et s'intéressant aux prisonniers“ … “Le contact avec les ouvriers belges est rafraîchissant et fraternel, ils sont quasi tous communistes, pour eux « Les capitalistes ont la guerre sur la conscience et ils sont responsables de tout »“ … “ Sur les murs des rues d’Ans, il y a des inscriptions : « À mort Léopold III », « Honneur au Maréchal Staline », « Au poteau Léopold III », « Léopold III = Hitler », « Abdication »“.

De ses compagnons de détention au camp d’Ans, où les conditions de vie et d’alimentation en se normalisant recréent, il dit “un esprit de camaraderie entre prisonniers se crée“.  Ce qui n’empêche pas les drames : “Hier, Herbert Hermann, notre chef allemand de camp a appris de sa femme qu'elle avait été violée par les Russes à Leipzig en octobre et qu'elle attendait un enfant. Il s'est effondré psychiquement et commence à boire“ …“Aujourd’hui matin (le 08/04/1946), c’était un matin clair, devant les barbelés le chef allemand de la baraque n°6 (probablement suspecté de vouloir fuir) est tué de 5 coups de fusil tirés une sentinelle.

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Documents ayant servis à la rédaction du texte :

Capitaine-Commandant RENSON, “Exposé de la construction du camp de prisonnier n°1 Ans“, 1947, 2 pages, document d’archives du Musée Royal de l’Armée à Bruxelles.

Alexander SCHREIBER, “Journal de captivité“, 1945-1946, traduction française, 24 pages, document consultable au CLADIC à Blegny-Mine.

Philippe SUNOU, “Les prisonniers de guerre allemands en Belgique et la bataille du charbon 1945-1947“, Bruxelles, Musée Royal de l’Armée, 1980.

Walthère FRANSSEN, “Des ouvriers mineurs, prisonniers de guerre allemands, dans les charbonnages belges, 1945-1947“, 31 pages, au CLADIC à Blegny-Mine.

Bien et PPPW
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Le camp situé rue de la Tonne. En annexe, d'autres plans ainsi que l'orchestre du camp.
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Histoire » Les guerres » 2ème guerre mondiale 1940-1945
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Ans
50.662655984481155 ; 5.55780529975891
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